Chaque matin, comme un rituel, des milliers de Kinois s’élancent dans les rues de la capitale congolaise pour rejoindre leur lieu de travail. Et chaque matin, ils se heurtent au même mur invisible, fait de klaxons, de moteurs au ralenti et de visages fatigués : les embouteillages.
À KINSHASA, le temps s'arrête. Littéralement, il se fige dans une attente qui ne dit pas son nom, dans une routine qui broie patience et productivité.
Des heures perdues, une ville figée
"Je pars de Ngaliema à 5H du matin pour arriver au centre-ville à 8H30', parfois 9H", confie Aimé, employé dans une banque de Gombe.
"Si je pars plus tard, je peux passer quatre heures dans la voiture".
Comme lui, des milliers d'habitants adaptent leur vie à une contrainte devenue norme.
Selon une estimation non officielle, un Kinois actif perdrait en moyenne 10 à 15 heures par semaine dans les embouteillages, soit plus de 500 heures par an. Un chiffre qui donne le vertige.
Ce temps perdu ne se récupère pas. Il ne se compense ni par des heures supplémentaires, ni par une flexibilité quelconque. Il pèse sur la santé mentale, sur les relations familiales, et bien sûr, sur la productivité économique d'une ville qui peine déjà à offrir un cadre de travail structuré.
Infrastructures dépassées, urbanisation galopante
L’une des causes majeures du problème réside dans le contraste entre une urbanisation rapide et non maîtrisée, et des infrastructures vieillissantes et inadaptées. KINSHASA, mégapole de plus de 17 millions d’habitants, n’a pas vu son réseau routier évoluer à la hauteur de sa démographie.
Certaines avenues principales, comme le boulevard LUMUMBA, l’avenue des Poids Lourds ou encore l’avenue Kasa-Vubu, sont devenues de véritables pièges mécaniques, où tout incident — panne, accrochage, pluie — suffit à paralyser plusieurs quartiers.
À cela s’ajoutent des routes secondaires souvent impraticables ou inexistantes, forçant tous les véhicules à se concentrer sur les mêmes axes.
Désordre organisé et incivisme routier
Mais les routes ne sont pas seules en cause.
À KINSHASA, le chaos de la circulation tient aussi au comportement des conducteurs et à une gouvernance du trafic quasi inexistante. Les embouteillages sont alimentés par l’incivisme routier : dépassements sauvages, arrêts en double file, occupation des carrefours par des vendeurs ambulants, ou encore la circulation anarchique des taxis-bus dits dits "esprits de mort", qui s’arrêtent n’importe où, n’importe comment.
Sans cela, la ville continuera d’étouffer dans son propre tumulte. Et les Kinois, eux, continueront de passer une part importante de leur vie dans un embouteillage, moteur éteint, regard perdu, espoir ajourné.
Quant aux agents de la circulation, leur présence est souvent synonyme de désordre accru.
"On les voit plus en train de soutirer de l'argent qu'en train de gérer le flux", ironise Jean-Pierre, chauffeur de taxi depuis 12 ans.
"Parfois, ils aggravent la situation en arrêtant les véhicules en pleine voie pour un contrôle de papiers".
Conséquences invisibles, mais réelles
Le coût des embouteillages ne se mesure pas qu’en temps. Il se mesure aussi en carburant gaspillé, en stress chronique, en rendez-vous manqués et en opportunités économiques avortées. Des mères arrivent en retard pour récupérer leurs enfants à l’école, des travailleurs ratent des entretiens, des entreprises perdent en rendement.
Et dans cette équation, c’est le citoyen ordinaire qui paie la facture. Celui qui, chaque jour, subit l’immobilisme d’un système qui refuse de se réinventer.
Des pistes, des promesses, peu d’actions
Des projets ont été annoncés. Certains lancés, d’autres enterrés. Le gouvernement provincial de KINSHASA a, à plusieurs reprises, promis l’élargissement de certaines voies, la construction de ponts, ou la réorganisation du transport public. Mais sur le terrain, les changements restent minimes, voire imperceptibles.
Le transport en commun, pourtant essentiel à la réduction du nombre de véhicules individuels, reste chaotique, dangereux et mal géré. Les tentatives de relance de Transco ou l’introduction des taxis "Esprit de vie" n'ont pas suffi à redonner confiance aux usagers.
Vers une refondation de la mobilité urbaine ?
Il est temps que Kinshasa entame une réflexion profonde et structurée sur sa mobilité. Cela passe par un plan directeur de circulation, une vraie politique de transport en commun digne d’une capitale, des aménagements urbains intelligents, une implication citoyenne, et surtout, une volonté politique ferme.
Ali Haddad